PART II / Celles qui cuisinent éco-responsable
Pour les cheffes que nous avons interviewées, cuisiner éco-responsable n’est pas une vaine idée ni juste une affaire de tendance, un mot les lie toutes et revient constamment : le respect. Respect des saisons, de la planète, des hommes et femmes, de la nature et du vivant, le respect anime leurs cuisines et les fait se surpasser pour aller toujours plus loin en terme d’éco-responsabilité.
Des valeurs ancrées
Souvent, c’est un aîné qui a montré la voie et fait réfléchir à une autre façon de cuisiner, plus en adéquation avec la nature. Pour Chloé Charles, cheffe à Lago, sa table d’hôte, durant son apprentissage, elle a travaillé avec un chef « qui ne sélectionnait que des produits de bonne qualité, plutôt français. Il m’a aussi appris à utiliser 100% du produit pour être rentable. La raison économique va de pair avec l’écologie. J’ai creusé ce sujet, c’est assez naturel, instinctif ».
Après avoir étudié à l’école Ferrandi, Dorine Garnier, co-gérante à La Maison du Gasseau, a débuté dans « des restaurants engagés où l’on prêtait attention aux saisons et où l’on se fournissait chez des petits producteurs ». Son associée, Victoire, lors de sa reconversion en cuisine, a également été sensibilisée à la cuisine locale dans « des petites restaus associatifs à Paris ».
Catherine Andreux, cheffe privée à Catherine & Raisin, a travaillé dans des établissements prestigieux et a été choquée par le gâchis vu en cuisine gastronomique et a eu envie d’inverser le schéma. « Parfois, on prélève une toute petite partie d’une pomme, par exemple, et on jette tout le reste ! Tout ce qui n’est pas parfait part à la poubelle ! »
Pour Fanny Mijon, cheffe à The Friendly Kitchen, végétarienne depuis longtemps, par goût et conviction, puis vegan, son intérêt croissant pour l’éco-responsabilité l’a conforté dans ses choix. « Je respecte le vivant, je ne trouve pas cela éthique et moral de manger des animaux donc je savais que je voulais monter un restaurant végétalien. »
Selon Chloé, la clé, c’est d’opter pour des produits qualitatifs à tous points de vue : « Un bon produit, c’est un produit qui respecte la saison, qui est plutôt artisanal, qui a du goût et du caractère. C’est aussi un produit qui respecte les hommes qui l’ont fait pousser sinon ce n’est pas éco-responsable ! »
Catherine poursuit dans la même direction : « Il faut consommer des produits de saison et locaux, on a tout ce qu’il faut en France ! Il faut respecter le rythme de la nature. La nature répond à nos besoins en fonction des saisons. Notre corps n’a pas besoin de framboises en janvier ! Il a besoin de consommer des veloutés de légumes, excellents pour renforcer le système immunitaire. Si on force la nature, les produits manquent de couleur, ils sont gorgés d’eau et n’ont pas de goût. »
Dorine et Victoire, installées dans la Sarthe, ne jurent que par l’hyper local : « Pratiquement tous nos produits frais viennent d’un rayon de 60 km, c’est de l’ultra local. C’est simple : si ça ne pousse pas dans le coin, on n’en a pas ! On optimise ce que l’on a ici. »
Fanny met un point d’honneur à ne proposer pratiquement que du bio, tant pour les aliments que pour les vins ou bières. « L’approvisionnement en fruits et légumes, c’est du bio et du français, pareil pour les céréales et les légumineuses. Sur certains produits, comme les oléagineux, je m’autorise l’Europe car il y a une forte contrainte de prix, en France. »
Approvisionnement de qualité et zéro déchet pour nos cheffes !
Bien sûr, effectuer un sourcing de qualité impose des contraintes supplémentaires et interdit certains produits ou, en tous cas, fait réfléchir à leur utilisation. Catherine développe : « Souvent quand les gens font appel à une cheffe privée, ils veulent du haut de gamme mais moi je ne veux pas céder à tout et n’importe quoi ! Je ne cuisinerai pas un steak argentin ! Pourquoi pas des gambas si elles sont pêchées hors de la période de reproduction et pas au bout du monde… »
Dorine et Victoire proposent peu de poissons car elles ne sont pas à côté de la mer. Elles servent de la viande bio pour satisfaire la clientèle mais cherchent à « mettre davantage en valeur le végétal, et nous refusons de servir de l’agneau, du veau ou du foie gras. Ce n’est pas en accord avec nos valeurs ».
Pour Fanny, le sujet épineux, c’est le chocolat car, bien entendu, il vient de loin. « J’aimerais faire des desserts sans chocolat mais c’est délicat car les clients adorent ça ! Il y a peu d’offre si on cherche un chocolat avec beaucoup de goût, des arômes, un label et une éthique irréprochable. »
Chloé essaie, elle, de « proposer des entrées végétariennes, de réduire la quantité de viande et de poisson. En revanche, je ne m’interdis pas les épices, on en transporte depuis des millénaires et on en utilise une quantité infime donc c’est ok ».
Pour chacune de nos cheffes, la question des déchets est évidemment centrale et elles ont deux obsessions : les réduire au maximum et les valoriser.
La marque de fabrique de Chloé Charles, c’est d’éviter absolument le gaspillage alimentaire. Pour y parvenir, elle travaille tout le produit, et même ses sous-parties. L’autre axe, c’est la réflexion sur les assiettes non terminées : « On pèse chaque jour les déchets pour comprendre pourquoi et comment ajuster le bon dosage d’une assiette. On réfléchit à des morceaux ou contenants plus petits. C’est par des petites actions que l’on peut réduire le gaspillage. »
Catherine Andreux poursuit : « Je ne jette rien ! Le peu qui reste, les racines, par exemple, part au compost. »
A la Maison des Gasseau, Dorine et Victoire ont la parade : « souvent on n’épluche pas les légumes, et quand il y a des déchets, on composte ou on donne aux poules ! »
Pour Fanny Mijon aussi, l’idée forte, c’est de tirer parti au maximum de chaque produit : « Je travaille beaucoup les légumes en entier, par exemple, je rôtis les fleurs de brocoli et je découpe en julienne le tronc. J’épluche peu car la peau des légumes renferme beaucoup de vitamines et peut même apporter une belle texture comme c’est le cas du topinambour. »
Des conseils concrets
Quand on demande comment démarrer vers un projet de cuisine plus éco-responsable au quotidien, à la maison, les réponses sont à l’unisson. La cheffe du Lago explique que « la première chose, c’est de manger tout ce qu’on a acheté pour ne rien jeter, même le pain ! C’est du bon sens, en fait… »
Catherine confirme : « Avant de refaire des courses, on finit ses placards ! Ensuite, on cherche des produits propres, c’est à dire que parmi tous les produits, il faut faire des recherches pour comprendre ce qui relève du marketing et c’est qui est un vrai label vertueux. Dans tous les cas, il faut privilégier le bio, le local et le fait maison. »
Pour Dorine et Victoire, il s’agit « d’éviter les supermarchés et d’aller à la rencontre des producteurs, se rendre au marché, être curieux ! ». Fanny poursuit : « Il faut profiter pleinement des produits quand c’est la saison. Pour certains aliments comme les asperges ou les champignons, on n’en trouve que pendant un mois, c’est court mais c’est comme cela, il ne faut pas chercher à en consommer après ! »
Parce qu’on manque parfois d’idées, chacune des cheffes nous a livré une petite astuce éco-durable bien à elles… « Avec la carcasse du poulet rôti, on peut préparer un délicieux bouillon qui rehaussera parfaitement un plat de coquillette ou de riz, le goût de la viande sans en manger, c’est top ! », nous confie Chloé Charles. Catherine Andreux conseille d’utiliser les épluchures : « Les fanes de carottes ou épluchures de légumes s’utilisent pour un bouillon et on n’y pense pas mais la peau amère des agrumes peut servir pour une marmelade. » Dorine et Victoire nous invitent à remplacer les sodas « par des boissons fermentées comme le kéfir ou le kombucha. Ça procure un bien-être sans égal pour la flore intestinale et il n’y a rien de chimique ! ». Fanny suggère de renoncer parfois au beurre ou à la crème fraîche pour élaborer les sauces : « On peut remplacer par de la crème de noix, du lait de soja, ajouter du miso blond et de la levure maltée… Il y a toujours d’autres façons de faire ! »
La transition écologique ne se fera pas sans un changement progressif des habitudes en matière d’alimentation, nos cheffes en ont conscience et font preuve de beaucoup de pédagogie vis à vis de leur clientèle pour inciter chacun(e) à y réfléchir. En favorisant les petits producteurs, les artisans français, les circuits courts, le commerce équitable et la filière bio, nos cheffes participent amplement à instaurer une spirale vertueuse pour la planète mais aussi pour l’économie.