Depuis toujours, le corps des femmes est un sujet inépuisable de commentaires, conseils, critiques, recommandations, sommations… Les modes passent, les injonctions varient mais la pression perdure et continue de peser lourdement sur les femmes. L’emprise est forte, la supposée bienveillance a parfois un effet pervers et nombre de femmes rêvent, tout simplement, d’un monde où leur corps ne sera plus un sujet.
D’une injonction à l’autre
Il y a eu le summer body, des décennies de tyrannie. Des années à se conformer aux standards de la beauté. Des mois à l’avance devoir maigrir, se muscler, traquer poils et cellulite, hâler mais pas brûler. Une dictature sans concession qui recense des millions de victimes dans le monde. Ces femmes qui, malgré leurs efforts, n’obtiennent pas le corps parfait exhibé par les mannequins des magazines. Ces femmes qui perdent confiance en elles, ressentent une pression dingue, se sentent prisonnières du regard des autres, stressent voir sombrent dans les troubles alimentaires compulsifs. Les chiffres sont éloquents, selon l’étude Feeleat, ce sont 69% des femmes interrogées qui ressentent une pression pour maigrir avant l’été.
Au début, l’avènement des réseaux sociaux n’a pas arrangé les choses : scroller des kilomètres de fesses galbées, de jambes fuselées et de ventres plats achevaient de nous plomber le moral.
Le coup de grâce est donné par l’armée de spécialistes en rééquilibrage alimentaire et les centaines de coachs sportifs qui assènent un mode d’emploi pour un healthy body. Un nouvel impératif incontournable s’immisce qui nous fait vite nous sentir looseuse si on n’est pas inscrite au yoga, qu’il nous arrive de glisser un plat à réchauffer au micro-ondes ou d’enquiller un week-end face à Netflix.
Heureusement, la révolution est en marche et un nouveau concept se répand absolument partout : le body positive qui prône l’acceptation et l’amour de son corps avec ses défauts. C’est ainsi que s’affichent, aujourd’hui, des corps plus empâtés, plus pulpeux, plus petits, moins toniques, moins jeunes, moins lisses. Les marques de vêtements, et notamment de lingerie, se sont rapidement engouffrées dans cette tendance pour leurs campagnes publicitaires en se revendiquant engagées et plus inclusives. Opportunisme ou réelle volonté de faire bouger les lignes, dans tous les cas la diversité des morphologies et l’apologie de la « normalité » ont le vent en poupe.
Même s’il part d’une bonne intention, le mouvement body positive peut résonner comme une nouvelle injonction : il faut, à tout prix, s’aimer. Cette idée là peut être vécue comme douloureuse par nombre de personnes qui ne parviennent pas à accepter leur corps, leur image. Voir des corps en maillot de bain qui s’assument et revendiquent se trouver beaux tels qu’ils sont, ça remue le couteau dans la plaie et ça culpabilise. On le sait bien : on est souvent dur avec soi-même, et le chemin de l’acceptation est, parfois, long et douloureux.
Quand on est mal dans sa chair ou que l’on souffre de dysmorphophobie, ce ne sont pas les images des autres qui vont suffire à apaiser notre rapport au corps. Un travail de développement personnel ou un accompagnement thérapeutique, quand on en ressent le besoin, engendrent une démarche d’introspection profonde, la seule à pouvoir nous faire évoluer.
Du respect pour tous les corps
Le body positive, c’est un élan de libération des complexes certes, un pas vers le mieux, c’est sûr. Pour autant, on peut s’interroger sur la pertinence d’une idée qui verse vers le narcissisme. Le mouvement est finalement loin de son objectif d’origine : celui de lutter contre l’invisibilité des personnes obèses. En effet, le combat contre la grossophobie et les discriminations qui en découlent n’a pas beaucoup avancé et le fat shaming (fait d’humilier quelqu’un en raison de sa corpulence) est, tristement, toujours d’actualité.
Pour le collectif Gras Politique, le body positive, c’est des corps normés, déjà bien visibles dans la société, mais en aucun cas la fat acceptance. Le collectif appelle à changer les mentalités au sujet des personnes obèses pour qu’elles ne soient plus systématiquement oppressées et qu’elles puissent vivre normalement. Cela passe, notamment, par une sensibilisation sur ces sujets et une visibilité accrue dans les médias et l’espace public. Le chantier numéro un, c’est de tordre le cou à une idée reçue : perdre du poids est une question de volonté. Dans la tête des gens, on peut facilement passer de gros à mince si on a de la volonté, c’est une question de choix. C’est évidemment bien plus complexe que ça mais au-delà des multiples facteurs qui engendrent l’obésité, se pose la question du respect humain.
On adhère au fait qu’une personne noire n’a pas le droit d’être stigmatisée en raison de sa couleur de peau, pourquoi n’en serait-il pas de même pour une personne en surpoids ? Le slogan de défense à l’avortement « Mon corps, mon choix » peut aussi être repris sur cette question. Oui, notre corps résulte aussi, mais seulement en partie, de nos choix alimentaires et de nos habitudes concernant l’hygiène de vie. Est-ce que quelqu’un peut se permettre d’avoir un avis dessus ?
Finalement, qu’on fasse du 34 ou du 56, on mérite tous le respect, le non-jugement et un traitement équitable. On a le droit de ne pas apprécier son corps, on peut décider de vivre avec, d’en prendre soin pour préserver sa santé, qu’il reste fonctionnel et c’est tout. On peut être épanoui sans se soucier de notre apparence physique et en étant ancrés sur nos réalisations. Garder en tête que notre corps a vocation à évoluer tout au long de notre vie.
C’est le concept du body neutrality : se définir autrement que par rapport à notre enveloppe corporelle, prendre de la distance par rapport à son physique, et s’intéresser davantage à nos ressentis et nos émotions. Une idée qui commence à se répandre parmi les influenceuses et notamment sur le compte de Louise Aubery alias @mybetterself qui rêve de voir les corps libérés.
Laisser enfin tranquille le corps des femmes, cesser de ramener les femmes à leur physique pour se focaliser sur leur intelligence, leur sensibilité, leur créativité et leurs actions, pas de doute, on adhère !