PART II / Celles qui travaillent le bois
A l’aube des métavers, nos héroïnes ont fait un choix, mûrement réfléchi, celui de nager à contre-courant du virtuel et de l’éphémère, celui d’ancrer leur activité dans le réel, le concret, le solide et le durable. La tête et les mains sont bien occupées, à longueur de journée, à scier, raboter, sculpter, fraiser et surtout s’émerveiller de ce contact avec la matière : le bois.
Rencontre avec trois femmes qui nous parlent avec passion de leur travail.
L’appel du bois
On ne vient pas au bois par hasard mais le parcours est parfois serpenté pour y arriver. Peu importe le chemin emprunté, il a mené nos héroïnes à trouver la satisfaction au milieu d’un atelier, entourées de planches de chêne, de noyer ou de cèdre. Leurs mains ont quitté les claviers d’ordinateurs pour se poser sur des établis et comptent bien y rester !
Marie Delaunay, créatrice d’Osiris, fabrique des objets en bois pour le design et la vie quotidienne. Après avoir fréquentée l’École Boulle puis l’École Nationale Supérieure des Arts Appliqués et des Métiers d’Art, à Paris, elle constate qu’il lui manque « un rapport à la matière, à la fabrication ». S’ensuivent deux ans de vadrouille à travers le monde et plus particulièrement en Australie et en Asie. Au Népal et en Inde, elle découvre des sculpteurs de bois, installés au cœur de la ville. À son retour de voyage, elle s’installe en Bretagne, et suit des cours du soir en sculpture sur bois puis se forme au tournage. « Le bois, c’est une évidence, on est très proche de la matière, il y a peu d’outils. La matière est vivante et unique, chaque arbre a son identité avec ses nœuds et son veinage, on n’a jamais deux fois le même rendu. La matière me guide, je m’adapte à elle. »
Astrid Eudeline et son compagnon Ivan Grangeret ont fondé Little Anana, une marque de mobilier en bois et d’objets design pour la maison. Au début pourtant, Astrid a suivi des études de commerce, s’intéressant notamment au marketing et à la publicité puis elle a décroché son premier job pour un site internet. Au bout d’un an, elle décide d’ouvrir son propre blog et d’y consigner des looks mode mais surtout des do it yourself car Astrid adore faire des bricolages en tous genres. Un jour, elle a envie d’un pegboard, un tableau perforé en bois, en forme d’ananas ; n’en trouvant pas, elle se décide à le fabriquer elle-même. L’aventure était lancée, Astrid et Ivan, sans formation particulière mais très bricoleurs, l’un et l’autre, ont tout appris sur le tas. Pour eux aussi, le choix du bois s’est imposé « On ne se voyait pas travailler le plastique ! Le bois, c’est beau, on a une affinité avec et ça répond à nos valeurs ».
Amélie Petitjean-Martigny, fondatrice d’Atelier Quinquete, a dirigé sa propre agence de communication pendant onze ans jusqu’au moment où elle a eu la sensation d’avoir fait le tour. Après avoir pensé devenir salariée, elle s’intéresse à la lumière et pense à développer une lampe en bois. Le plan est clair : un artisan va fabriquer la lampe et elle s’occupera de sa commercialisation et du marketing. Elle se rend en scierie pour acheter son premier plateau de chêne et là, elle dévie légèrement de son plan initial… « J’ai commencé à bidouiller et tous mes souvenirs sont remontés… Je suis petite fille de menuisier et j’ai toujours baigné dans cet univers. L’odeur du bois, les copeaux, c’était une évidence ! Construire de mes mains des choses de plus en plus techniques, de plus en plus grandes et de plus en plus jolies, c’est extra ! » Aux lampes en bois, ont succédé les consoles, les bureaux et tout un tas de meubles sur mesure…
Fabriquer de façon raisonnée
Quand on aime le bois, souvent, on aime la nature et on fait le pari de la respecter. La dimension écologique est présente dans les choix de chacune. Elles ne s’imaginent pas gâcher une planche ni travailler un bois exotique qui viendrait de l’autre bout du monde. Leur considération pour la matière est importante et dans leur quotidien, elles font de leur mieux pour suivre une logique éco-responsable.
Astrid prête une attention particulière au gaspillage. « Nous concevons à la demande pour ne pas générer de stock. On s’arrange aussi pour avoir le moins de chutes possibles et réutiliser celles-ci quand il y en a. Avec la chute d’un miroir, nous avons récemment créé un banc, par exemple. Enfin, il nous arrive aussi de donner nos petites chutes à des écoles de menuiserie de la région pour qu’ils aient de la matière pour s’entraîner. »
Marie est dans une démarche de récupération : « Je récupère les chutes des industriels, des ébénistes du coin, des agenceurs. Je glane aussi chez les particuliers, il y a quelques jours, j’ai récupéré un olivier qui venait d’être abattu. Je revalorise un bois qui était destiné à être brûlé. Je ne choisis pas mes morceaux, je m’adapte à la matière et je fais avec ce que j’ai ! »
Amélie fait attention à l’origine du bois et se fournit principalement dans deux scieries proches de chez elle. « J’utilise du bois local issu de forêts où l’on replante dès qu’on abat. J’opte aussi pour du bois qui a séché naturellement. » Amélie constate que, malheureusement, des scieries autour de chez elle ferment. « Les grandes enseignes achètent du bois puis l’expédient pour fabriquer en Chine, on transforme peu en France. »
Montée en puissance des femmes
De l’avis de toutes, les femmes ne sont pas encore très nombreuses à travailler le bois mais leur présence est, sans aucun doute, en progression. Petit à petit, on s’autorise à investir un bastion encore bien masculin dans l’imaginaire collectif. Les femmes hésitent, mûrissent leur projet, surprennent leur entourage mais finissent par se lancer, réussir et surtout, s’épanouir !
Chez Little Anana, deux femmes ont rejoint Astrid et Ivan, et l’équipe reçoit régulièrement des filles en stage. « On entend beaucoup de reconversions, des personnes qui ne veulent plus être assises derrière un bureau toute la journée, qui sont en recherche de manuel, de concret. Il y a plus de garçons car sur ces métiers, parfois, il faut un peu de force physique pour porter des pièces lourdes mais sinon les filles ne sont pas en reste ! »
Marie confie que lorsqu’elle s’outille, elle rencontre parfois des regards étonnés : « Quand j’achète une tronçonneuse, ça surprend toujours ! Mais on est au début de quelque chose, il y a désormais un public féminin, souvent en reconversion, qui souhaite travailler le bois. »
Via les réseaux sociaux, Amélie a rencontré quelques menuisières et rejoint Les Filles du BTP, un collectif qui œuvre pour promouvoir et soutenir les femmes dans les métiers du bâtiment. Elle confie qu’elle reçoit des messages de filles tentées par ces carrières mais qui s’interrogent. « Ces projets amènent des questionnements et beaucoup de doutes. On me demande souvent comment je suis reçue par les clients en tant que menuisière. Il arrive, sur un chantier, qu’on me prenne pour la femme de l’artisan ou la secrétaire, je dois alors sortir les termes techniques pour prouver que c’est bien moi qui fais ! Une fois que je précise que c’est moi la menuisière, il y a beaucoup de bienveillance. »
Ces propos rassurent, il y a encore du chemin à parcourir mais les barrières s’abaissent, les stéréotypes reculent petit à petit et, une fois passée la surprise, les femmes sont plutôt bien accueillies.
Merci à nos héroïnes d’être inspirantes, d’avoir suivi leur propre mouvement et d’avoir ainsi contribué, à leur échelle, à faire avancer le monde. À travers leur expérience, on comprend qu’aligner ses valeurs et ses envies à son projet professionnel est la clé de la réussite, la vraie, celle qui, sans fioriture, rend heureux.se.
Pour celles et ceux, qui auraient loupé le premier volet, le voici juste ici