Part II / Celles qui sèment
Les fleuristes sont souvent des amoureux-ses de la nature. Un bon nombre d’entre eux/elles adhère, logiquement, au mouvement éco-responsable et s’efforce concrètement à travailler de façon vertueuse. D’abord en sélectionnant des fleurs françaises, peu ou pas traitées chimiquement, mais leur projet s’articule aussi autour d’une vision globale d’une économie circulaire et d’une société plus solidaire et plus chaleureuse. Rencontre avec des fleuristes engagé.e.s…
Des concepts nouveaux
Aujourd’hui, les fleuristes ont, parfois, eu une vie professionnelle antérieure et éprouvent l’envie de revisiter la traditionnelle boutique de fleurs et d’y mêler de nouvelles idées…
Coline Peyre et Mathilde Noirot sont emblématiques d’une nouvelle génération de fleuriste, toutes deux ont ouvert, après une reconversion, La Butinerie, à Marseille, un café fleuristerie qui dispense aussi des ateliers floraux. « Aujourd’hui, on peut tout acheter sur Internet, même des fleurs, mais nous, on voulait être plus qu’un lieu de vente. Notre idée, c’est de proposer quelque chose de différent, d’être à la fois un commerce de proximité et aussi un lieu de vie. Un endroit qui crée du lien social et permet aussi de faire de la pédagogie autour de la fleur française. »
Pour Eulalie et Claire, leur petit salon de thé fleuristerie, Les Petites Mains Végétales, à Saint-Cyprien, c’est tout simplement un rêve d’enfant qui s’est réalisé. « On propose des thés français, du café, des sablés, on met des livres à disposition… Les gens viennent acheter des fleurs, prendre un thé, ou les deux, et parfois travailler. On discute, c’est convivial et on sent que l’on rencontre beaucoup d’adhésion. »
Même souhait chez Mathilde Bignon et Audrey Venant, reconverties après plusieurs années dans les achats alimentaires, dont la fleuristerie Désirée, à Paris, propose même une partie restaurant. « Nous voulions accueillir du monde ! Être un lieu de partage, un endroit où l’on discute en dégustant de bons petits plats. » Cohérente avec l’ensemble de leur démarche, la carte y est courte et on n’y savoure que des produits éco-responsables.
Tiphaine Turluche a parcouru le monde pour son ancien job, dans la voile de compétition, avant de devenir la créatrice des Bottes d’Anémone dans le Golfe du Morbihan. Elle a fait un pari : celui de ne pas avoir de boutique et de travailler uniquement à la commande ! « La raison principale, c’est que pour attirer le client en boutique, il faut une jolie vitrine et au final, on jette 25% des fleurs, ça induit de la surconsommation. Moi je ne commande que ce dont j’ai besoin, je peux dire aux gens que cette fleur a été cueillie pour eux, maximum 48 heures plus tôt. La fleur va durer plus longtemps et s’épanouir chez le client. Il va redécouvrir le spectacle, la magie d’un bouquet de fleurs ! »
Des convictions fortes
Les fleuristes avec lesquelles nous avons échangé partagent un désir commun : celui de travailler proprement, de limiter leur impact environnemental et de contribuer à une société plus juste.
On s’extasie devant la beauté des fleurs et on s’enivre de leur parfum mais on se demande rarement d’où elles proviennent et comment elles ont été cultivées. C’est la question que s’est posée Tiphaine quand elle s’est intéressée de près à l’industrie florale. « J’ai découvert que 85% des fleurs que nous achetons, en France, ont parcouru, en moyenne, 10 000 kilomètres, qu’elles arrivent souvent de très loin, d’Equateur ou du Kenya, par exemple. En terme d’empreinte carbone, c’est très important : un bouquet de roses importées, c’est l’équivalent d’un Paris-Londres en avion ! Beaucoup de fleurs proviennent de Hollande aussi, c’est plus près mais leur méthode de production est très énergivore : ils font du forçage de végétaux dans des serres chauffées. » Autre problème avec la production Hollandaise : l’utilisation de pesticides n’est pas contrôlée. Mathilde et Audrey ajoutent : « En France, nous n’avons pas d’obligations de traçabilité pour les fleurs. Celles qui existent pour les fruits et légumes sont des normes européennes or la Hollande fait un gros lobbying auprès des parlementaires pour qu’il n’y ait pas de réglementation dans ce sens concernant les fleurs. »
Mathilde et Coline estiment que la question du sourcing est essentielle : « Chez nous, c’est comme chez le boucher, on affiche la provenance ! On dit où les fleurs ont été cultivées et où elles ont été cueillies dans le cas de la cueillette sauvage. »
Déterminée, Tiphaine, était bien décidée, dès le début, à ne pas faire de compromis sur la marchandise qu’elle allait proposer. « On est habitués à avoir des roses toute l’année mais ce n’est pas la réalité de la nature ! Il y a une saisonnalité, comme pour les aliments ! J’ai donc choisi de ne travailler qu’avec des producteurs français ayant un mode d’horticulture respectueux des saisons et de la nature. J’ai rejoint le Collectif de la Fleur Française qui soutient une horticulture raisonnable : sans forçage ni pesticides.»
Mathilde et Audrey sont aussi très engagées pour le respect de la saisonnalité et souhaitent soutenir la filière horticole française très en danger : « 50% des producteurs ont disparu, il faut les aider à renaître ! » Elles privilégient les circuits courts : « On essaie de limiter les intermédiaires. En Île-de-France, on traite directement avec nos producteurs ; dans le Var, nous devons passer par un marché aux fleurs puis des grossistes locaux et enfin, ceux de Rungis. »
L’aspect sociétal compte aussi beaucoup et fait partie intégrante de leur démarche : « On a choisi une société de livraison indépendante : nos livreurs livrent en vélo-cargo, ils portent des casques et ont souscrit une mutuelle ! On a d’ailleurs l’agrément ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale). On aimerait également pouvoir fermer les boutiques le dimanche. Chacun aspire à ralentir, c’est important. »
Eulalie et Claire, n’ont ouvert que depuis six mois mais essaient aussi de multiplier les efforts. « Nous essayons de réduire nos trajets en travaillant avec des producteurs locaux et quand nous faisons appel à des producteurs Hollandais, nous privilégions ceux qui respectent l’Ecolabel qui limite notamment les émissions de co2. »
Pour Coline et Mathilde, c’était une évidence d’aligner leur commerce à leur sensibilité écologique : « On fait du 100% local, il faut dire qu’on a la chance d’être à proximité du Var, le premier bassin de producteurs de fleurs en France. » Elles font leur maximum en termes d’éco-responsabilité: « On composte nos déchets verts qui sont récupérés une fois par semaine, par l’association Les Alchimistes, on limite notre consommation d’eau, on emballe avec du kraft et du rafia, on livre à vélo… »
Là aussi, la vocation sociétale est importante : « On travaille avec des gens qui sont dans la même démarche que nous, le torréfacteur dans la rue, par exemple. Notre projet repose également sur l’économie circulaire, on accepte la roue, une monnaie locale et citoyenne qui favorise les échanges locaux. »
Des défis actuels
Comme tout le monde en France, les fleuristes pâtissent des effets de l’inflation et cherchent à s’ajuster. Eulalie et Claire affirment : « On subit de plein fouet, une tige qui valait 0,60 € vaut aujourd’hui 1,5€ et pour 2023, on nous dit de s’attendre à pire encore ! » Pour limiter les pertes, elles ne proposent qu’un petit choix de fleurs fraîches et se rendent tous les deux jours chez leur fournisseur. Parce qu’elles savent que les clients doivent faire attention au budget, elles les orientent : « On travaille beaucoup les fleurs séchées et les fleurs stabilisées, ce sont des produits vers lesquels les clients ne vont pas spontanément mais en fait, ils sont contents car on les garde longtemps. »
Coline et Mathilde voient un lien direct entre canicule et inflation : « Nous avons eu beaucoup moins de fleurs à cause de la sécheresse, l’approvisionnement était plus difficile, de ce fait, les prix ont augmenté. »
Mathilde et Audrey ont, depuis longtemps, la parade pour satisfaire toutes les bourses : « Nous vendons depuis toujours, nos fleurs à l’unité, cela permet avec 5 ou 6€ de s’offrir un petit bouquet. Ce n’est pas un gros budget et les gens se permettent encore ce petit plaisir. »
Tiphaine relativise les questions de coût. « Au final, une tige locale n’est pas plus chère qu’une tige importée : il n’y a pas de fret aérien ni de surcoût en énergie. Le prix des fleurs importées a été multiplié par 4 ou 5. Les fleurs que je vends poussent dans des champs ou des serres non chauffées donc elles ne subissent pas cette augmentation. »
Toutes les fleuristes interrogées sont d’accord : leur combat n’est pas vain. Une véritable prise de conscience est en train de s’opérer et les consommateurs acceptent volontiers, dès qu’ils sont informés, de renoncer aux roses toute l’année pour se tourner vers des fleurs de saison. Ils n’en sont pas à réclamer une fleur bio, même si ce label existe aussi, mais se montrent de plus en plus soucieux de la provenance et du traitement subi par les fleurs.