Envisager les articulations possibles autour d’une maison vivante, ce n’est pas un concept abstrait avec de jolis mots assemblés. Bien au contraire, une maison vivante, c’est une volonté de s’ancrer dans du concret, dans la réalité, la matière, la nature et le vivant.
C’est une maison qui vit au rythme des saisons, de la météo, de sa situation géographique, du mode de vie de ses habitants, sans oublier le vivant qui se trouve partout autour de nous et sous toutes les formes. C’est aussi une maison qui puisse être modulable, qui se développe, croît et se transforme au gré de nos besoins et de nos envies. C’est un lieu qui s’affranchit du dualisme architecture/nature, pour que nous puissions créer du lien, franchir des ponts et trouver des ouvertures.
Explorer les liens entre architecture et paysage
Longtemps (trop longtemps), l’architecture et le paysage ont été deux notions antagonistes. L’architecture, qu’elle soit monumentale ou individuelle, au même titre que les villes, est souvent pensée comme une victoire sur le paysage naturel, une régulation ou un contrôle nécessaire. Là où bosquets, herbe, ronces, fourrés et broussailles en tous genres proliféraient, les constructions créées par l’homme et pour l’homme ont apportées ordre et organisation.
Aujourd’hui, les choses n’ont pas radicalement changé, mais elles semblent évoluer, au rythme de nos réflexions. Le lien entre paysage et architecture a toujours existé, nous l’avons simplement oublié ou délaissé. Il serait bon de le retrouver.
Comment ? En repensant, à l’échelle individuelle et collective, à ce que peut être une cohabitation entre l’architecture et la nature : formes, besoins, énergies, matières, coûts… Ces questionnements, dans le fond, se recoupent autour de la maison (ou du bâtiment), pensée comme continuité avec la nature, comme une maison du vivant (pour le vivant et avec le vivant). Et le vivant, ici, ne concerne pas que l’homme : la flore et la faune y ont toute leur place.
De ce point de vue, l’architecture doit être plus libre et plus consciente. Qui ne ressent pas ce besoin, impérieux et profond, d’être bienveillant et en harmonie, chez soi, avec son environnement, sa ville (ou son village) et la nature qui l’entoure ? Une maison consciente, c’est aussi une maison respectueuse, parce qu’il serait aberrant de construire des espaces en harmonie avec le paysage qui ne soient pas vertueux ni engagés. C’est un de nos défis pour l’avenir, à n’en pas douter.
Quelques exemples d’éco-projets concrets
Des mots, des mots, et toujours des mots… Certain.e.s agissent ! Des actions concrètes, qui prouvent que l’architecture peut (et doit) évoluer vers plus de liberté, avec l’aide de la nature, il y en a et de plus en plus ! Nous avons sélectionné quelques éco-projets de construction ou de rénovation plus ou moins récents pour illustrer notre propos.
Hourré – collectif Encore
Cette réhabilitation d’une ancienne ferme par le collectif Encore, située à la frontière du pays basque, est une des plus belles et des plus surprenantes de ces dernières années. Terminée en 2015, cette habitation semble aujourd’hui sortir tout droit d’un rêve, où intérieur et extérieur ne seraient pas séparés, mais en réelle communication (presque en fusion), alors qu’elle était une simple ferme, à l’abandon, prête à s’écrouler, comme il y en a par milliers dans nos campagnes et nos villages.
Les ouvertures sont larges, les fenêtres deviennent des portes, les toits s’ouvrent pour laisser passer la lumière, le vent, les nuages et les oiseaux ; les salles de bains se transforment en terrasses ou en bibliothèque de fortune-salon-salle de jeux, et la nature y a toujours sa place, c’est une évidence. Évidemment, l’ancienne ferme basque n’est plus exactement la même, mais la structure initiale conservée rappelle son passé et les transformations apportées l’ont sublimé. C’est un doux mélange de respect de l’existant, richesse et diversité du paysage, d’histoires anciennes et d’inventions humaines judicieuses qui font qu’un lieu prend vie. Le paysage et les habitants ne font qu’un.
La Bonne Maison – Agence Coste / Yann Arthus Bertrand
S’il semble plus pertinent de rénover nos anciens bâtiments, plutôt que de construire du neuf, le projet de La Bonne Maison, une habitation individuelle et économe, est porteuse de sens. L’agence Coste, à l’initiative de Yann Arthus Bertrand, et en collaboration avec le groupe GEOXIA, propose depuis 2007 un prototype de maison individuelle autonome et respectueuse de l’environnement, pouvant s’adapter aux différentes situations géographiques, en respect avec les dernières réglementations. Cette habitation est composée d’une enveloppe adiabatique (isolation renforcée, rupture totale des ponts thermiques, triple vitrage, réduction de la perméabilité à l’air des parois) et d’un excellent apport en énergies renouvelables (solaire passif, contrôle de la surchauffe en été, éclairage naturel, production d’eau chaude par panneaux solaires, ventilation double flux par puits canadien, poêle à bois performant, récupération de l’eau de pluie, etc.). Une maison écologique qui peut être l’avenir de nos constructions neuves.
L’école de la biodiversité – Agence ChartierDalix
Construire ou rénover un bâtiment en zone rurale, c’est une chose, mais intégrer la biodiversité, avec sa faune et sa flore, dans nos espaces urbains, est une tâche qui relève d’une autre dimension. C’est l’objectif que se donnent Pascale Dalix et Frédéric Chartier depuis 2008 : accueillir le vivant dans l’architecture et le paysage urbain afin de créer une promiscuité vertueuse entre l’homme et la nature.
L’école de la biodiversité et le gymnase qui l’accompagne en est un bon exemple. À la fois lieu d’apprentissage et espace privilégié pour la nature, il opère un retour à la biodiversité dans les zones urbaines, de manière continue, fluide, et sans créer de rupture. En combinant une école primaire, un gymnase et un écosystème au niveau de la façade et du toit, le bâtiment devient un lieu vivant qui favorise les échanges et les expériences collectives. Le lieu est dit vivant, car il est évolutif ; il obéit aux lois de la nature et se transforme au gré des saisons. Le toit et la façade végétalisés ont une fonction de support de paysage au cœur même de la ville. Cet espace devient un lieu de protection pour la nature et pour l’humain : il est à la fois un refuge en zone urbaine et un espace protégé par l’homme.
Relever les défis pour l’avenir de notre planète
L’architecture durable et bioclimatique est un des enjeux de notre époque. Si les constructions neuves répondent à des normes de consommation énergétique et de déperditions d’énergie, les maisons et bâtiments anciens sont bien souvent mis de côté. La loi contre les passoires thermiques, bien qu’elle pousse les propriétaires à réaliser des travaux d’isolation et de rénovation énergétique, ne permet pas, en elle-même, de faire prendre conscience de l’enjeu qui se cache derrière. Elle se présente, pour beaucoup, comme une mesure punitive pour les logements les plus anciens et les foyers les plus précaires.
Le défi à relever se situe plutôt autour d’une prise de conscience (la nature au cœur de tout projet), une volonté de changement et une évolution de nos habitudes. C’est une chose qui prend du temps, mais qui fait son chemin. Il n’y a pas de doutes sur le fait que nous soyons capables de réussir cette épreuve. Les exemples que nous venons de citer le prouvent : nos habitations peuvent s’articuler avec la nature à faibles coûts (si on fait un maximum avec l’existant), consommer peu sans perdre en confort et en sécurité, nous laisser libres de vivre nos propres expériences et finalement nous rendre heureux et heureuses au quotidien.
Loin d’être une utopie, la maison vivante est possible, elle est l’avenir et une fenêtre ouverte vers des explorations qui vont nous nourrir et nous surprendre – nous apprendre – nous construire. Reconnaissance du paysage, respect de l’environnement et du vivant, création de sens, présence au monde, utilisation d’énergies renouvelables, conscience et bien-être commun, la maison vivante est tout cela à la fois. Elle peut nous aider à vivre en harmonie (avec soi-même, les autres, le paysage urbain, la faune, la flore) et à donner du sens à nos vies.