Je dois dire que la douceur et la passion de Garance sont contagieuses et vous le verrez assez vite dans cet entretien.
Garance est artisane mosaïste, c’est une artiste dans l’âme car à l’évidence il s’agit bel et bien d’une histoire de famille. Très souvent libre dans son art et guidée par son besoin débordant de créativité, elle nous livre à cœur ouvert son parcours, son histoire, sa quête d’indépendance, de sens et de lâcher prise à travers un métier-passion peu commun. L’emblème de son atelier reste et restera sa grand-mère, une femme passionnée qui aime sans cesse apprendre, créer et imaginer, c’est elle qui lui a tout appris, qui lui a permis de donner du sens à chacun de ses gestes sans règles ni pression, de prendre sa place tout simplement. Garance voit la vie comme un puzzle ou plutôt une belle mosaïque que l’on façonne de jour en jour avec sa force, son âme et son cœur. Place à l’interview ! Très belle lecture.
Bonjour Garance, peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Garance Dupont, j’ai 29 ans, je suis mosaïste à plein temps depuis 5 ans.
J’ai fait des études d’arts appliqués à Olivier de Serres (appelé aussi ENSAAMA), cela me correspondait parfaitement dans l’immédiat car il y avait un cadre et des thèmes à respecter, j’avais besoin d’être guidée par un objectif précis. J’ai choisi la spécialité matériaux de synthèse et effets spéciaux dans l’idée d’aller vers le décor et accessoires dans le cinéma et le théâtre.
Je me rappelle qu’il y avait une section mosaïque mais étonnement je n’y suis jamais allée.
Lorsque j’ai terminé mes études, j’ai effectué une année de stage dans un atelier de décor car je ressentais le besoin de vivre une expérience de terrain et développer davantage ma technique. Il se trouve que par la suite j’ai vécu aux côtés de ma grand-mère et en partant j’avais pris goût à la mosaïque, je voulais continuer d’apprendre et d’évoluer par moi-même.
J’ai commencé à travailler dans mon appartement puis j’ai rapidement trouvé un atelier, à Belleville dans le 10e arrondissement de Paris.
Peux-tu nous en dire plus sur ta grand-mère et sur les moments clés qui ont marqué tes débuts ?
Ma grand-mère était mosaïste depuis des années, la mosaïque était pour moi une anecdote, cela s’arrêtait là. J’ai grandi dans une famille dans laquelle on est tous très proches et à une période on allait chez ma grand-mère tous les dimanches. Quand on rentrait chez elle, on passait par son atelier, c’était le passage obligatoire ! On y voyait ses œuvres entreposées. Elle était aussi peintre, elle aurait d’ailleurs aimé être portraitiste. C’est une femme très astucieuse et créative, bien souvent surprenante, je l’admire.
J’ai vécu à ses côtés durant 6 mois, après mon stage, c’est là où tout a commencé. Nous avons réalisé 4 mosaïques à 4 mains.
De retour chez moi, j’ai continué à travailler ma technique et à me perfectionner. J’ai commencé à avoir des commandes de plus en plus importantes. J’ai débuté dans cet art par simple curiosité ce qui s’est par la suite transformé en passion. J’ai eu la chance d’être vraiment soutenu par mon entourage proche ce qui m’a permis de gagner en confiance et d’avancer sereinement dans cette voie.
As-tu une routine de travail ?
Je suis de nature plutôt bordélique, la mosaïque m’a appris la rigueur, l’organisation, la minutie et étonnement la perfection !
Je fais toujours de l’ordre avant de démarrer ma journée de travail. Je suis accompagnée par le son, tout au long de la journée, en commençant avec France Inter puis j’enchaîne avec mes playlists persos, des podcasts et ; en fin de journée ; je termine avec des séries ou des documentaires. Je suis solitaire dans mon travail, d’autant plus qu’il s’agit d’une activité manuelle et créative, j’ai besoin de me retrouver seule avec la pièce à créer, ma bulle est mon équilibre.
Comment définirais-tu ton artisanat ? As-tu une certaine méthode ?
Complètement libre et instinctif car j’ai tout appris grâce à ma grand-mère, je n’ai pas suivi le chemin éducatif standard. Elle-même a appris sur le tas. Comme elle, j’ai fait l’école de la vie ! Je travaille de façon spontanée, chaque mosaïque est de toute façon différente et unique donc cela fonctionne parfaitement… en tout cas jusqu’ici !
Pour la petite anecdote, lorsque je reçois un meuble en kit je refuse de regarder le mode d’emploi : j’ai besoin de réfléchir et de construire par moi-même avec ma logique et mon imagination. C’est une lubie qui ne fonctionne pas à tous les coups mais elle me permet de mieux comprendre les rouages et c’est finalement ce qui m’intéresse le plus.
Peux-tu nous parler des matériaux avec lesquels tu travailles et de tes fournisseurs ?
Je suis partie de chez ma grand-mère avec un gros stock de tesselles de type pâte de verre. Aujourd’hui, en fonction de la quantité dont j’ai besoin, je travaille soit avec le fabricant Winckelmans, il s’agit d’une usine de grès cérame, soit avec le revendeur Championnet Carrelages, avec qui j’ai un très bon contact, situé dans le 18e arrondissement de Paris.
Quelle est ta clientèle ? Comment se déroule un projet étape par étape ?
J’ai 2 types de clients donc 2 types de projets.
D’un côté il y a les particuliers, les projets sont plus libres et personnels. Je rencontre la personne, ensemble on définit le projet et le thème puis on détermine une palette sur laquelle je vais me baser pour faire des propositions. Je dessine 2 ou 3 croquis sur tablette, j’indique également les couleurs qui seront utilisées. J’envoie au client, on affine ensemble et dès que c’est validé, je démarre la mosaïque sur la table de mon atelier ou sur une grande feuille kraft. Je fais une superposition de papier cuisson et filet, ensuite je colle les tesselles sur-mesure une à une pour composer la fresque. Pour finir, je découpe le filet en un puzzle pour le déplacer sur le lieu du chantier et ainsi le coller définitivement.
De l’autre côté, il y a les professionnels qui sont souvent plus précis dans leurs briefs, la trame est détaillée et le projet est cadré. Ma marge de manœuvre est davantage guidée et finalement ce n’est pas si désagréable de suivre pas à pas une ligne directrice pour satisfaire la demande du client.
Qu’en est-il de la concurrence dans ce milieu ?
Sur le marché de la mosaïque, nous ne sommes pas nombreux et nombreuses, chacun.e a son savoir-faire et son style artistique. Nous ne sommes pas sollicités pour les mêmes projets donc je ne ressens pas de concurrence directe.
Qu’est-ce qui te stimule le plus dans ton travail ?
Sans hésiter, ma liberté d’expression et de création. C’est très agréable pour moi de me lancer corps et âme dans une mosaïque et de m’autoriser à me lâcher, m’amuser, m’exprimer et imaginer une mosaïque unique pour quelqu’un. J’attache beaucoup d’importance à cette liberté et c’est d’ailleurs ce que je recherchais en choisissant une activité indépendante.
Le contact et l’échange avec le client me plaît aussi beaucoup.
Pour tout te dire, je m’intéresse de plus en plus à l’art-thérapie car je suis sûre que la pensée et les émotions sont liées à la créativité, parfois c’est aussi bien de laisser de côté les mots et les théories pour ne garder que l’expression du corps. C’est un super moyen de lâcher prise pour se prouver à soi-même de quoi on est capable.
Lorsque je ne crée pas assez dans mon travail, je crée en dehors. Je fais notamment de la linogravure et de la peinture. Je crois de plus en plus que l’artisan est un artiste qui se dissimule derrière son statut premier. Artiste-Artisan serait le juste terme… lorsque je me présente j’ai tendance à énoncer l’un ou l’autre mais en réalité ils sont indissociables.
Le processus créatif me plaît aussi beaucoup, sa mise en avant est très importante, il s’agit de l’histoire d’une œuvre, je visualise chaque étape de création comme une danse entre l’artiste et son œuvre !
As-tu trouvé ton équilibre pro/perso ?
Les deux sont extrêmement liés chez moi et fonctionnent en vases communicants.
Ma vie perso et pro se répondent au quotidien et s’équilibrent.
La mosaïque est arrivée dans ma vie à un moment particulièrement difficile, j’avais besoin de m’exprimer et d’extérioriser.
Dans mon travail, je fais de multiples choix assumés alors que j’aurais tendance à être plus nuancée dans ma vie personnelle.
Quelles sont les valeurs qui te guident dans la vie ?
J’ai eu 2 ou 3 périodes de vie très différentes, ma vision n’était pas la même pour chacune et j’ai accepté ce changement.
Ce qui est resté jusqu’ici c’est la bienveillance, la générosité, la douceur, l’humour, l’optimisme, la prise de risques, l’acceptation des échecs, le courage d’avancer. La mosaïque pour moi c’est la plus belle représentation de la vie telle qu’elle est : construire pas à pas (des petits et des plus grands), ajuster, recommencer, créer un ensemble solide et durable. Chaque geste est important et chaque intention aussi petite soit-elle est essentielle pour que le résultat soit le plus beau possible. Je crois profondément au karma.
Dans quoi préfères-tu investir ton temps et ton énergie ?
J’ai une vie sociale très riche et j’ai toujours soif de nouvelles découvertes et de rencontres mais aujourd’hui mon plus bel investissement est mon travail, c’est là où je me sens forte, à la hauteur et confiante ; j’enfile mon costume de super-héroïne et je m’y mets à fond car je sais que j’y suis à ma place. Chaque mosaïque est comme une nouvelle relation amoureuse, au début je réfléchis et je tâtonne, je finis par prendre mes marques puis je me lance, j’y vais à fond, à tel point que les derniers jours je fais des nuits blanches puis enfin arrive le moment des aurevoirs.
Quelle est ton activité préférée ?
Je suis fan de food, j’adore cuisiner, découvrir de nouvelles recettes et de nouveaux restaurants, je crois que c’est ce que je préfère ! J’aime l’idée de cuisiner ensemble, de découvrir de nouvelles saveurs entre amis et en famille.
As-tu un espace à toi chez toi ?
Étant donné que mes parents sont dans le milieu de l’art, j’ai toujours évolué dans des lieux ressemblant à des cabinets de curiosité avec beaucoup d’objets entreposés, de brocs, des œuvres ; je dois dire que reproduis un peu la même chose aujourd’hui.
A mes débuts, je travaillais dans mon salon donc je te laisse imaginer l’encombrement ! Désormais, je suis bien plus souvent à mon atelier que chez moi donc mon espace de vie est moins chargé mais si je dois le décrire c’est le mot « bordel organisé » qui me vient en tête ! Mes murs sont couverts de souvenirs, j’ai une grande attache aux objets. A chaque endroit où je vais, au bord de la mer par exemple, je ramène des petits cailloux que je sélectionne et que j’entrepose sur mes étagères. J’ai aussi des dessins d’artistes que j’ai pu croiser.
Quelle est ta découverte du moment, celle que tu as envie de partager avec les lectrices et les lecteurs de Minisauts ?
Mon dernier choc artiste c’était à Deauville lors de la livraison d’une mosaïque, c’était un gros projet. Je me suis accordée deux jours à moi au bord de la mer, j’ai apprécié de manger des crêpes sur la plage et prendre le temps de la réflexion après tous ces efforts. Puis je me suis retrouvée, par hasard, au musée des franciscaines, il s’agit d’un ancien orphelinat sublime qui était réservé aux enfants de marins. L’architecture est sublimissime, un mélange d’ancien et de moderne.
J’y ai découvert la collection du peintre André Hambourg, également illustrateur, lithographe et résistant français. Ses peintures et portraits de femmes et de nus m’ont subjugué. Je me suis émerveillée face à son art et sa mise en lumière de la femme. Je suis spontanément attirée par les détails, j’aime particulièrement cette petite touche de pinceau qui va illuminer le tableau et le sublimer. Son travail est incroyable, je le trouve à la fois intemporel et très moderne. Je suis sensible aux voyages qui l’ont inspirés, j’affectionne aussi beaucoup sa peinture à l’huile car ma mère utilise cette technique et cela me rappelle des souvenirs.
Pour celles et ceux qui ne le connaissent pas, je vous conseille de le découvrir et de savourer ce moment.
Merci à Garance d’avoir accepté de répondre à mes questions ♡
Pour découvrir son travail et ses créations, c’est juste ICI
Composition illustrée signée Minisauts & Luluaucrayon