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Les femmes dans l’édition : présence et inégalités

femmes éditrices

PART I / Celles qui publient les femmes

Le talent n’est pas l’apanage d’un genre humain en particulier et pourtant, à regarder de plus près, les prix littéraires, les sièges de l’Académie française ou encore les rayons des librairies, on réalise qu’on est loin de la parité et que les femmes sont sous représentées dans le monde littéraire… Côté autrices comme côté éditrices, on fait encore difficilement sa place au milieu des hommes qui règnent.

 Des autrices moins bien considérées

Quand on s’intéresse au monde de l’édition et à la parité, le premier constat que l’on fait n’est pas des moindres : on publie plus facilement les hommes que les femmes ! On pensait pourtant que depuis Aurore Dupin qui avait choisi le pseudonyme Georges Sand pour améliorer ses chances d’être publiée, de l’eau avait coulé sous les ponts… Cela dit, si J.K.Rowling a volontairement choisi de se cacher derrière des initiales avant de connaître le succès avec Harry Potter, c’est peut-être qu’il y avait une raison ! Encore plus récemment, une autrice américaine, Catherine Nichols, a tenté une expérience : elle a envoyé une lettre identique et les premières pages de son roman à une cinquantaine d’éditeurs, tantôt en utilisant sa véritable identité, tantôt en employant un pseudonyme masculin, George. George a comptabilisé 17 demandes de manuscrit quand Catherine n’en a eu que deux… Catherine constate que même les refus étaient plus polis et plus chaleureux quand ils étaient adressés à George. Ce qui amène Catherine à penser que le problème n’était pas son roman mais elle…

Une étude de l’Uneq montre pourtant qu’hommes et femmes envoient la même proportion de manuscrits mais que le taux de publication des femmes est de 19,59% contre 29,05% chez les hommes. On constate aussi une forte disparité selon les genres littéraires : les femmes soumettent presque deux fois plus d’ouvrages destinés à la jeunesse et des dizaines de recueil de poésie en plus. En revanche, manifestement, elles ne s’autorisent que rarement à écrire des essais ou à se lancer dans la bande dessinée. Si en réalité, aucun genre n’est plus mineur qu’un autre, la littérature jeunesse, on le sait, n’est pas considérée comme le pan le plus prestigieux de l’édition. On a bien du mal à ne pas faire le lien femme-auteure-mère de famille qui sait ce qui plaît aux enfants.

La suite logique de cette iniquité, c’est la visibilité réduite des autrices dans les médias par rapport aux auteurs. En effet, seulement 36,81% des critiques littéraires portent sur des œuvres féminines. En revanche, cherchez l’erreur, les femmes sont plus souvent en photo en couverture de leur livre que les hommes… La teneur des commentaires est aussi intéressante et le lexique employé n’est pas le même pour décrire une œuvre selon qu’elle ait été écrite par une femme ou un homme. Les livres féminins sont qualifiés de « délicat », « sensible » ou « juste » quand leurs confrères masculins se voient attribuer du « grandiose », « puissant » ou « brillant ».

Enfin, selon une étude américaine si l’on confond tous les genres littéraires, un ouvrage signé par une femme se vend en moyenne 45% moins cher que s’il est signé par un homme… Cette différence s’expliquerait par la sous-représentation des femmes dans la littérature scientifique, un genre coûteux à produire, contrairement aux romans. A genre littéraire égal, on constate quand même un désavantage de 9% en moins pour les autrices.

Le monde de l’édition aurait donc tendance à désavantager les autrices par un biais sexiste. Comme toujours, les femmes n’en restent pas là et trouvent la parade : elles sont de plus en plus nombreuses à se tourner vers l’auto-édition. Une solution concrète qui est l’assurance de contourner à la fois la sous-représentation des femmes dans le monde littéraire et de pouvoir fixer son prix librement. Parmi les plus grands succès de l’auto-édition, on trouve d’ailleurs Les gens heureux lisent et boivent du café d’Agnès Martin-Lugand, Il est grand temps de rallumer les étoiles de Virginie Grimaldi, Fidèle au poste d’Amélie Antoine ou encore Mémé dans les orties d’Aurélie Valognes, quatre femmes qui avaient essuyé des refus de la part de maisons d’édition…

Après ce premier constat, on peut se demander qu’en est-il de la parité côté éditeurs.

Des éditrices qui percent

Les femmes sont très présentes dans le milieu de l’édition : selon le Syndicat National de l’Edition, elles occupent près de 75% des postes. Elles sont employées, cadres, techniciennes et, sur certaines professions, comme iconographe, attachée de presse ou assistante d’édition, la présence des hommes est même anecdotique. En revanche, d’après le dernier observatoire de l’égalité femmes-hommes du Ministère de la Culture, les femmes ne sont que 12% à être à la tête d’une grande maison d’édition et les inégalités salariales se situent autour de 20% en défaveur des femmes.

La parité n’est pas gagnée mais depuis quelques années, on se réjouit, quand même, que des femmes prennent des postes de direction, parmi les maisons les plus prestigieuses, et s’imposent sur le devant de la scène littéraire. Ce sont plus souvent sur des postes de direction éditoriale que les femmes sont appelées, beaucoup plus rarement sur des postes de direction financière. Là encore, un bon vieux biais cognitif nous interpelle : les femmes seraient plus douées pour débusquer des talents que pour tenir des comptes. Cela étant, le succès d’une maison d’édition repose sur la pertinence du choix des ouvrages avant tout et c’est donc une bonne nouvelle que les femmes s’emparent de ces fonctions. Sans grande surprise, ce sont dans les sections éducation, jeunesse et pratique que la représentation féminine est la plus importante.

Anna Pavlowitch chez Albin Michel, Karina Hocine chez Gallimard, Sophie Charnavel chez Plon, Isabelle Saporta chez Fayard et bien d’autres encore, cette nouvelle génération d’éditrices crée une nouvelle dynamique éditoriale. Sans favoriser ouvertement les autrices, il est certain qu’elles ne dénigrent pas les livres de filles et qu’elles voient, peut-être plus facilement que les hommes, le potentiel d’une littérature populaire de qualité. Cinq femmes figurent d’ailleurs parmi les dix auteurs les plus lus en 2021 : Virginie Grimaldi, Valérie Perrin,  Mélissa Da Costa, Marie-Bernadette Dupuy, et Aurélie Valognes.

Avant d’en arriver là, le monde de l’édition a été complètement verrouillé par les hommes pendant des décennies si bien que certaines femmes ne se voyant pas proposer un poste à la hauteur de leur talent, ont tout simplement créé leur propre maison d’édition.

C’est le cas de Régine Deforges considérée comme la pionnière des femmes éditrices. Non seulement, elle a créé, en 1968, sa propre maison d’édition L’Or du temps, ce qui en soit était déjà sacrément audacieux mais, en plus, elle a publié ses propres romans érotiques s’attirant les foudres de la censure encore en vigueur à l’époque. Après avoir été privée de ses droits civiques un temps, elle a continué son œuvre et publié des centaines de livres écrits par des femmes avec une seule ambition : prôner l’émancipation et la libération des femmes.

Odile Jacob a aussi fait bouger les lignes en créant sa maison d’édition éponyme, en 1986, et en s’attaquant à un bastion encore très masculin : la science. Une trentaine d’années et 4000 ouvrages plus tard, Odile Jacob a réussi le pari de rendre les sciences accessibles à un large public et s’est taillée une place de choix. Et pourtant, elle s’émeut encore sur France Inter que beaucoup d’hommes considèrent que ce ne sont pas les compétences intellectuelles d’une femme qui la font réussir mais son instinct…


A leur manière, Françoise Verny, Anne Carrière, Anne-Marie Métailié, Joëlle Losfeld ont aussi beaucoup contribué à ouvrir aux femmes les portes des comités de lecture des maisons les plus renommées. Ces éditrices inspirantes ont montré la voie à une nouvelle génération qui poursuit aujourd’hui l’engagement de leurs aînées de rendre plus visible les femmes dans le monde littéraire en créant des maisons d’édition 100% féministes. Ces éditrices publient exclusivement des femmes et/ou du contenu défendant leur cause.

… la semaine prochaine, dans la seconde partie de cette série, nous les découvrirons à travers leurs témoignages.

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À propos de l autrice

stephanie redactrice
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