PART I / Celles qui sèment
Le commerce des fleurs n’est pas nouveau et a inlassablement suscité de l’intérêt depuis ses débuts. Si aujourd’hui, nos fleuristes sont expert.e.s en botanique, doté.e.s de qualités commerciales, d’un bon sens du relationnel et d’un esprit créatif et artistique, la profession n’a pas toujours été aussi étoffée. Néanmoins, les ancêtres de nos fleuristes ont perpétué la tradition florale avec passion le plus souvent. Retour sur un métier qui n’a eu de cesse de s’adapter à son temps.
Brève histoire de la fleur coupée
Les fleurs ont toujours jalonné l’histoire des hommes. La petite histoire de chacun-chacune, de la naissance au deuil, mais aussi la grande Histoire.
Les paléontologues l’affirment : les fleurs existaient bien avant le genre humain. Dès la Préhistoire, les rites funéraires ont fait leur apparition et les premières sépultures étaient déjà recouvertes de fleurs. Plus tard, sous l’Antiquité, on commence à orner les intérieurs de compositions florales. Au cours du Moyen-Âge, on offre des fleurs et chaque espèce revêt une symbolique, c’est la naissance du langage des fleurs. La Renaissance achèvera d’instaurer l’art floral tant et si bien que l’un des premiers krachs boursiers résulte des spéculations autour du prix de la tulipe, en Hollande !
Au XXe siècle, les fleurs vont jouer des rôles importants : les coquelicots et œillets ont marqué la première guerre mondiale, le flower power a été l’emblème des hippies et les oeillets, le symbole de la révolution pacifiste au Portugal.
Le commerce floral a suivi les grandes transformations des époques successives et la profession s’est renouvelée au fil de l’eau.
Des bouquetières à la première fleuristerie
Les premiers à avoir fait commerce des fleurs étaient les jardiniers et les chapeliers qui confectionnaient des couronnes de fleurs et des chapeaux fleuris.
Au cours du Moyen-Âge est apparu le métier de bouquetière. Il s’agissait d’une profession exclusivement féminine. Ces femmes fabriquaient des petits bouquets, des couronnes florales, des guirlandes de fleurs et ornements floraux en tous genres. Les bouquetières vendaient leurs créations à la criée, soit devant un petit étal fixe, souvent devant les églises, soit en déambulant dans les rues avec leurs corbeilles fleuries. Les bouquetières s’approvisionnaient tôt le matin, aux halles, et devaient absolument vendre leur marchandise dans la journée car elles n’avaient aucun moyen de conserver des fleurs fraîches plus longtemps. Elles arpentaient parfois jusque tard dans la nuit la ville pour écouler leur stock. Malgré de longues heures de travail, le métier était faiblement rémunéré, les petites marchandes de fleurs, comme on les appelait, étaient souvent pauvres.
Au fil du XVIIIe siècle, les professions vont se spécialiser, les modistes récupèrent l’exclusivité de la confection de chapeaux et les bouquetières doivent se contenter de la réalisation de bouquets, cela va conduire au métier de fleuriste tel que nous le connaissons.
La première boutique de fleurs est ouverte en 1830 sur la place du Palais-Royal, à Paris, par Madame Prévost. C’est une minuscule échoppe où une seule personne peut entrer à la fois. Madame Prévost se taille rapidement une réputation dans le tout-Paris : non seulement sa façon d’agencer les fleurs était unique mais elle saisissait aussi parfaitement les desseins amoureux de ses clients et savait les retranscrire par un arrangement floral subtil. Dotée d’humour et de caractère, elle décidait parfois de faire échouer volontairement les séducteurs qui multipliaient les conquêtes, en composant des bouquets disgracieux qui déplairaient à coup sûr à la femme désirée !
En 1845, c’est la maison Lachaume qui ouvrait ses portes, boutique que Marcel Proust fréquentera quotidiennement pour fleurir sa boutonnière. Aujourd’hui encore, ce maître fleuriste est une véritable institution et les commandes affluent des quatre coins du monde.
Des professionnels qui évoluent avec leur temps
Avec le temps, le métier de fleuriste s’est répandu et des règles précises sont venues encadrer la profession pendant de longues années. La créativité était limitée par des codes à respecter. Par exemple, on ne pouvait que proposer des fleurs blanches pour un mariage ou encore selon le type de fleurs, le bouquet devait être composé d’un certain nombre de tiges et pas une de plus, la hauteur de la fleur devait aussi être calculée… L’autre contrainte était le choix restreint d’espèces, les fleuristes travaillaient essentiellement des roses, des oeillets, des violettes et des glaïeuls qui étaient acheminés par le train.
A partir de 1970, peu à peu les compositions prennent de la couleur, de nouvelles formes de bouquet apparaissent, on ose l’originalité, on varie les contenants, on mixe les matériaux et on s’affranchit des règles. Le métier devient plus créatif surtout qu’avec la mondialisation et l’apparition des fermes floricoles, de nouvelles espèces arrivent sur le marché et l’offre florale s’étoffe. Azalées, orchidées, pivoines, tulipes et encore des dizaines de fleurs exotiques qui enchantent la clientèle !
Les années 80 vont marquer le début d’une concurrence féroce pour les artisans fleuristes avec l’apparition d’enseignes franchisées appartenant à des chaînes et proposant une offre large et des tarifs attractifs. Autre nouveauté de ces boutiques : les fleurs sont laissées en libre-service pour permettre aux clients de choisir et de composer eux-mêmes leur bouquet. La rivalité vient aussi de la grande distribution avec l’ouverture de jardineries mais aussi de rayons fleurs en grande surface, dans les magasins spécialisés de bricolage ou d’art de vivre. Dans les années 2000, on voit également émerger des réseaux de fleuriste avec un positionnement low cost : des fleurs, achetées par tonnes, revendues à des prix parfois jusqu’à 50% inférieurs à ceux des fleuristes traditionnels. Enfin, bien entendu, le marché est occupé par les plateformes de vente en ligne qui représentent, désormais, 2% du volume des ventes de fleurs en France.
Aujourd’hui, la formation de fleuriste s’est consolidée, on peut ajouter au CAP, indispensable pour être qualifié d’artisan.e, un brevet professionnel qui sanctionne également des connaissances commerciales. En effet, un ou une fleuriste qualifié.e doit être capable de développer son activité de façon pérenne, d’établir une stratégie, d’analyser le marché et de valoriser son offre.
La profession attire toujours beaucoup de jeunes mais environ 40% des candidats au CAP sont des personnes en reconversion. Venus d’horizons professionnels différents, ces nouveaux profils, attirés par l’aspect artistique, contribuent à moderniser la profession en portant un regard neuf sur les pratiques. De nouveaux concepts innovants dynamisent le secteur comme la vente de produits complémentaires aux fleurs : il n’est pas rare de voir des fleuristeries-salon de thé ou des échoppes combinant vente de fleurs et objets de déco ou bouteilles de vin ! Enfin, certains choisissent de se positionner sur un créneau précis : type de végétaux (roses, orchidées…) ou d’événement (mariage, salon…), offre 100% locale (circuit court, label Fleurs de France…).
Bien que le métier de fleuriste ait connu de nombreuses évolutions, l’amour des fleurs et le goût de l’esthétique ont toujours été partagés par ces professionnels depuis les petites bouquetières. Aujourd’hui, les fleuristes n’ont pas peur de réaliser les ajustements nécessaires pour relever les défis actuels : inflation, réchauffement climatique, approvisionnement local et empreinte écologique.
… la semaine prochaine, dans la seconde partie de cette série, nous laisserons la parole aux femmes fleuristes d’aujourd’hui.